Lettre ouverte aux “décideurs”…

Aux élu-es, représentant-es, agriculteur-trices, habitant-es du Cotentin,

Nous sommes, en ce début d’année 2021, et encore plus qu’à l’accoutumée, soucieux du chemin emprunté par nos sociétés dites développées. Encore aux prises avec une épidémie qui participe à remettre en cause nos modes de développement, nos façons de se déplacer, de consommer, de se soigner, nous conservons une attention particulière pour des enjeux primordiaux qui trouvent difficilement un écho dans le contexte actuel.

Ainsi, nous, agriculteurs-trices et producteurs-trices locaux, nous souhaitons profiter du lancement de la consultation dans le cadre du Projet Alimentaire Territorial initié par La Communauté de communes de la Baie du Cotentin et l’Agglomération du Cotentin pour nous exprimer sur cette démarche et ce qui nous semblerait pertinent de mettre en œuvre localement pour répondre aux enjeux alimentaires et agricoles de notre époque.

Le Projet Alimentaire Territorial

L’objectif annoncé de ce PAT est « de définir collectivement des objectifs communs en matière d’agriculture, de pêche et d’alimentation » et de « se projeter sur le long terme, sur les choix de société que nous souhaitons pour notre alimentation et l’avenir de notre agriculture », en trois étapes que sont la « vision commune : Définition collective des objectifs de la démarche», l’« organisation : proposition des actions pour atteindre l’objectif » et l’« action : Validation du projet et mise en œuvre ». Si l’objectif annoncé est tout à fait louable, la mise en œuvre de cette consultation et les objectifs réels qu’elle sert sont discutables.

En effet, les équipes de l’agglomération ont lancé des consultations en ce début du mois de février afin de travailler à la définition des objectifs. Il s’agit dans un premier temps de participer à une session de 2h, avec environ 50 personnes, et en visioconférence. Deux heures maximum d’échanges, à 50 personnes, en visioconférence, soit moins de 3 min de temps de parole par personne, voilà ce que l’on nous propose pour définir des objectifs, de donner son avis, d’en débattre et de se former collectivement par les échanges avec les différents acteurs de la filière… Est-ce vraiment sérieux ?

Alors que les organisateurs-trices s’autocongratulent déjà, on peut se demander si un tel projet, censé prendre en main de tels enjeux, peut sérieusement être mené à bien avec des moyens aussi rudimentaires. Ou alors s’agirait-il encore une fois de la forme, de gesticuler, de mettre le peuple et la démocratie en scène, de faire l’exercice pour l’exercice, pour communiquer, pour se donner une belle façade consultative ?

De même sur les 1900 exploitations agricoles du territoire (pour 3538 actifs) combien y participeront ? Et pour environ 200 000 habitant-es du Cotentin? Combien ? Et combien connaissent l’existence de cette démarche et de ses buts ? Voilà les véritables indicateurs de réussite d’une consultation populaire. Nous serions curieux de les connaître.

Mais l’idée d’un Plan Alimentaire Territorial est tout à fait bienvenue. Alors que le nombre d’agriculteur-trices continue de chuter, que les suicides sont nombreux dans la profession, que les agriculteur-trices sont parmi les classes socio-économiques les plus défavorisées, que l’agriculture représente un impact environnemental fort, que notre autonomie alimentaire est en question, il est temps de faire quelque chose.

Quelle meilleure échelle que l’échelle locale pour répondre aux enjeux de l’alimentation ? En effet, quelle efficacité réelle des politiques globales, de la Politique Agricole Commune, des décisions européennes ou nationales soumises aux lobbies, aux atermoiements, aux négociations politiciennes, qui font que trop souvent l’éléphant accouche d’une souris ?

La localité peut être la solution afin de mettre en œuvre des politiques efficaces et pragmatiques sur un territoire donné. Et dans cette démarche de consultation, si le « peuple » est mis en avant, si on propose de l’écouter, alors faisons en sorte qu’il ne s’agisse pas uniquement de le mettre en scène pendant que les décisions sont ou seront prises ailleurs.

Alors comment contourner, compenser, court-circuiter ce cheminement long et inefficace d’une démocratie qui ne représente plus qu’une infime partie de la population ? La réponse est sans aucun doute dans les territoires, les localités et la véritable démocratie directe. Dans l’urgence sociale et environnementale qui est la nôtre, il est fondamental de mettre en place des politiques locales, réactives, souples et adaptées aux territoires. Et c’est bel et bien la localité et la proximité qui peuvent être les garants d’une politique contextualisée, adaptée et fondamentalement démocratique, si l’objectif est véritablement celui-ci pour les élu-es du Cotentin.

Nous ne sommes pas dupes, et n’ attendons pas un Grand Soir démocratique de la part de politicien-nes locaux déjà bien engagé-es sur la pente du professionnalisme et du clientélisme, mais il y a aussi dans nos communes des élu-es et des fonctionnaires pour qui le service public et la représentation démocratique ont encore un sens. Mais à Cherbourg-en-Cotentin notamment des hectares de terres agricoles sont encore sacrifiées. Le projet de la ZAC de la Croix Morel en est l’exemple le plus actuel. Où est la cohérence ?

Quoi et comment ?

Même si une consultation doit nécessairement démarrer par le « quoi ? », il est vraisemblable que les habitant-es et les élu-es soient globalement au courant des problèmes à solutionner dans l’agriculture et l’alimentation : Destruction et artificialisation des sols, impact carbone et pollutions diverses de la production, du transport, de l’emballage, destruction de la biodiversité, mauvaise qualité nutritive et sanitaire des aliments… Et nous pouvons nous douter des volontés des habitant-es, des consommateurs-trices pour y répondre : consommer le maximum de produits locaux, de qualité nutritive et sanitaire satisfaisante, bénéficier d’une agriculture environnementalement vertueuse, et d’une commercialisation facilement disponible et à un prix abordable par tous et toutes.

Donc la véritable question à débattre sera sans doute : Comment ? Comment peut-on agir dès maintenant en faveur de ces objectifs ? Quels sont les leviers d’actions à mettre en œuvre immédiatement et à moyen terme ? Là les producteurs ont un rôle particulier à tenir car ce sont bien eux qui produisent et qui connaissent la filière. Ainsi nous, producteurs-trices, prenons notre part au travail de réflexion et proposons la mise en œuvre des politiques suivantes :

– Lancer une politique d’incitation et d’accompagnement technico-économique de conversion des exploitations conventionnelles vers l’agriculture biologique

– Aider les exploitations d’ores et déjà en agriculture biologique et/ou en vente locale et en circuit court et/ou en production diversifiée pour le maintien et le développement de leurs activités

– Favoriser l’installation de nouveaux producteurs capables de fournir des denrées diversifiées en Agriculture Biologique et de commercialiser localement et en circuit court

– Assurer un maillage du territoire fait de producteurs diversifiés capables de fournir très localement en aliments de base l’ensemble de la population.

– Créer un service public « d’épicerie » permettant la centralisation, la distribution, voire la commercialisation des denrées produites localement, dans chaque village, quartier, dans des lieux identifiés et ouverts en dehors des heures de bureaux. Cela permettrait de faciliter l’accès à une diversité de produits locaux aux habitant-es qui n’ont pas le temps de parcourir les différentes fermes et de participer à la réduction de l’impact carbone de la distribution.

– Mettre en place des régies municipales agricoles capables de fournir les cantines, les cuisines centrales, les restaurants d’entreprise, voire les épiceries locales.

– Soutenir les modes d’agriculture alternatifs, décarbonés, environnementalement et socialement responsables, qui développent d’autres modèles, parfois à la limite de l’activité de recherche et développement

– Soutenir et inciter la mise en place de filières nouvelles permettant de construire l’autonomie alimentaire du territoire, la productivité et la pertinence environnementale associée : fermes semencières (céréales, légumes, …), diversification des productions, conservation, transformation… Nous pouvons faire autre chose que du lait en Normandie pourvu que nous ne visions pas seulement la rentabilité économique maximale par l’exportation à tout prix.

– Favoriser la création d’emplois dans l’agriculture pour contrer l’érosion en cours. Une agriculture plus respectueuse sera une agriculture où le nombre de bras sera supérieur.

– Viser le 100 % bio et local à la cantine et subventionner les repas pour ne pas en augmenter le prix

– Permettre la création de nouvelles coopératives (laitières, légumières, maraîchères, …) à l’échelle locale et donner la possibilité aux producteurs de sortir du piège de l’agro-industrie. Aujourd’hui les coopératives sont des entreprises agro-industrielles si gigantesques que les coopérateurs, si loin des prises de décision, sont totalement dépossédés. Ils subissent les politiques stratégiques, les prix, les choix de production, … et cela coûte à chaque contribuable de soutenir publiquement ces industriels et méga-coopératives privés en subventionnant, de bien des manières, des outils de production destructeurs d’emplois et d’environnement.

– …

Cette liste n’est pas exhaustive, de nombreuses idées peuvent germer d’une vraie consultation locale, dans chaque village, dans chaque quartier.

La carte « Joker » des élu-es locaux est de dire que ces politiques incombent à l’Etat. Toutes ces propositions sont pourtant mises en œuvre en France, dans certaines régions, dans certains cantons, dans certaines communes. C’est donc possible. Puisque la puissance privée, adossée à l’État développe la globalisation et l’industrialisation et ne jure que par l’extrême rentabilité économique en sacrifiant le service public, l’environnement et la justice sociale, il est du devoir des localités de développer un service public à taille humaine, localisé, et vertueux sur le plan social et environnemental.

Ce qui est fait aujourd’hui est largement insuffisant. Et si nos élu-es se demandent encore comment soutenir, aider, favoriser, mettre en place, assurer, créer, alors que la problématique agricole et alimentaire est sur la table depuis des années, qu’ils mettent au plus vite leurs équipes sur le sujet, qu’ils consultent sérieusement localement et regardent aussi ce qui se fait déjà ailleurs. Et qu’ils se rapprochent et écoutent réellement celles et ceux qui travaillent déjà à développer ces filières ici et maintenant et qui, aujourd’hui, ne sont pas soutenus à la hauteur de leurs engagements et des enjeux vitaux que sont l’agriculture et l’alimentation dans le Cotentin comme partout.

1 thought on “Lettre ouverte aux “décideurs”…

  1. Complètement d’accord avec vous !!! Je suis à la retraite et souhaite participer à mon niveau à un projet de ce type. Merci de me tenir informée de l’avancée de ce projet. Bon courage à vous. Cordialement

Répondre à LEQUERTIER Marie-Annick Annuler la réponse

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